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Nezouh

Entretien avec Soudade Kaadan, réalisatrice

NEZOUH N’EST PAS UN FILM ORDINAIRE SUR LES RÉFUGIÉS SYRIENS. COMMENT VOUS EST VENUE L’IDÉE DE CETTE APPROCHE MÉTAPHORIQUE SI SINGULIÈRE ?

ST VENUE L’IDÉE DE CETTE APPROCHE MÉTAPHORIQUE SI SINGULIÈRE ? Quand j’ai commencé l’écriture de Nezouh, il y avait encore certaines idées préconçues sur ce que devait être un film syrien : il fallait qu’il soit informatif, avec une narration à la première personne destinée à expliquer et simplifier la complexité de la guerre en Syrie pour un public occidental. La plupart des films qui montrent des réfugiés syriens ont tendance à nous présenter soit comme des victimes, soit comme des héros, de façon très manichéenne. Alors que, bien évidemment, nous ne sommes ni l’un ni l’autre, comme tous les êtres humains. Avec Nezouh, j’ai essayé de montrer aux spectateurs que les réfugiés syriens sont comme eux. La famille pourrait être n’importe quelle famille à travers le monde confrontée à un dilemme en temps de guerre : faut-il rester ou tout abandonner ? 

Pour moi, plus une histoire est plongée dans une réalité locale particulière, plus elle en devient universelle. Les symboles et une approche teintée d’imaginaire élèvent et transcendent une réalité locale, et peuvent toucher tout le monde. C’est pourquoi j’ai choisi la simple métaphore d’une maison familiale qui traverse des épreuves à Damas. Dans cette ville, les maisons sont généralement fermées : des rideaux protègent l’intérieur du regard des voisins. Mais les bombardements ont pour la première fois éventré des toits, laissant des trous béants comme autant de fenêtres ouvertes sur le ciel et les étoiles. J’ai voulu montrer que les maisons n’étaient pas les seules à changer à Damas, mais que les dynamiques familiales évoluent également lorsque les femmes commencent à prendre les choses en main. 

QUELS PRINCIPAUX DÉFIS AVEZ-VOUS DÛ RELEVER POUR ÉCRIRE LE SCÉNARIO ? 

J’ai d’abord vu une petite fille regarder les étoiles à travers une ouverture dans le toit de sa maison. Puis les personnages m’ont guidée vers l’histoire. Plus tard, le défi a été de trouver le bon équilibre entre les histoires personnelles, l’intrigue fictive, la réalité de la guerre et le réalisme magique. Comment représenter la guerre sans passer par les scènes de bombardements que l’on voit toujours dans les films aux thèmes similaires ? Comment évoquer le danger qui s’approche de la maison sans le montrer à l’écran ? Et comment révéler l’horreur du conflit sans recourir à des images choquantes ? 

Puisque la guerre en Syrie n’est pas un conflit ordinaire et qu’elle dure depuis plus de dix ans, les habitants ont dû inventer des façons de résister et de survivre à cette dure réalité en s’efforçant de maintenir une forme de normalité dans leur vie quotidienne. On voit donc des Syriens écouter de la musique, tenter de profiter des petites choses qui font le sel de la vie, alors qu’autour d’eux, tout n’est que désolation. J’avais à cœur de montrer ces instants précieux. 

COMMENT DÉCRIRIEZ-VOUS LE LIEN PARTICULIER QUI UNIT LA MÈRE ET LA FILLE ? QUELLES DIFFÉRENCES Y A-T-IL ENTRE CES DEUX GÉNÉRATIONS DE FEMMES ? 

J’ai essayé de souligner les parallèles qui se dessinent entre la fille et la mère au fil de leur parcours. Suite à la destruction partielle de leur maison, elles se mettent toutes les deux à changer : la fille décide de découvrir le monde extérieur, et la mère choisit de quitter la ville. Elles prennent la décision de partir au même moment, durant la scène de danse : la mère prépare un sac et leurs passeports pour s’enfuir, et la fille grimpe à la corde malgré sa peur du vide. J’ai cherché à montrer qu’elles prennent toutes les deux la décision la plus importante de leur vie pendant ce moment de danse. Les décisions les plus cruciales sont souvent prises dans les instants les plus ordinaires. 

Comme elles n’appartiennent pas à la même génération, elles réagissent souvent différemment. La mère, Hala, cherche à préserver l’avenir de Zeina pour que sa fille ait une vie différente de la sienne. Malgré tout, leurs parcours entrent souvent en résonance. Elles regardent toutes les deux des images de la mer (sur le toit de la maison, puis sur le toit de l’école), et elles se prennent à rêver à de grands projets et à une vie nouvelle, même si cela semble impossible puisqu’il n’y a pas la mer à Damas. Prises entre la triste réalité, leurs espoirs et leurs rêves, elles n’accepteront jamais de revenir à la dynamique traditionnelle de la société patriarcale damascène. 

QUELS ÉTAIENT VOS PRINCIPES DE MISE EN SCÈNE ? 

J’ai essayé de distinguer visuellement trois phases dans le film : avant la bombe, après la bombe, et dans les rues de Damas. Dans le prologue, avant les bombardements, nous sommes plongés dans l’obscurité et la caméra opère un mouvement circulaire pour montrer que les personnages sont prisonniers de cette maison. Après les bombardements, la lumière envahit la maison, les couleurs sont plus vives, et la caméra effectue des mouvements verticaux vers le ciel, qui symbolisent les aspirations et les rêves de Zeina. Lorsque nous quittons leur logement, la palette de couleurs se fait plus pâle, la ville n’est plus qu’un paysage désolé, dévasté, dévoilé par des prises de vues au steadicam suivant un axe horizontal. J’ai eu la chance de travailler avec une merveilleuse équipe de machinistes et d’opérateurs, ainsi qu’avec la directrice de la photographie Hélène Louvart ; ensemble, nous avons réussi à obtenir des images et une lumière poétiques dans un cadre et un contexte authentiques. 

Même si le film est poétique, empreint de réalisme magique et d’imaginaire, il n’en demeure pas moins ancré dans la réalité syrienne. Il fallait que les spectateurs ne puissent pas voir la différence entre les effets spéciaux, les images numériques ajoutées en postproduction et les décors réels. Même dans les scènes de réalisme magique, nous avons veillé à ce que les effets soient aussi intégrés au film que possible. Là aussi, j’ai eu la chance de travailler avec une équipe fantastique qui a cru en mon histoire et en ma vision, et qui s’est donnée à fond pour les concrétiser. Le chef décorateur Osman Özcan, le directeur des effets spéciaux Serdal Ateş et le superviseur des effets numériques Ahmed Yousry ont fait de longues recherches sur la Syrie, et ils se sont inspirés d’images d’archives et de leurs propres photographies. Il était important pour moi de dresser un portrait à la fois nuancé et authentique de ma ville. Ahmed Yousry, qui travaille habituellement sur les films hollywoodiens à gros budget, est parvenu à concevoir les effets spéciaux du film avec nos moyens et pour un résultat optimal. 

VOUS AVEZ RÉUNI DES ACTEURS DE TALENT QUI INCARNENT PARFAITEMENT CETTE FAMILLE. QU’ONT-ILS APPORTÉ AU FILM? 

J’adore travailler avec les acteurs, je consacre toujours beaucoup de temps au casting. J’aime mélanger des acteurs professionnels et des non professionnels. Tous ont quelque chose de nouveau à apporter au film.

Dans Nezouh, les seuls comédiens professionnels étaient Kinda Alloush et Samer al Masri, qui sont très célèbres dans le monde arabe. Ils jouent les parents. Nous avons eu plus de mal à trouver l’actrice qui jouerait la fille, Zeina. C’est compliqué de trouver une actrice syrienne de quatorze ans, cela nous a pris des mois ! Mais dès que j’ai vu Hala Zein, j’ai su qu’elle serait capable d’endosser ce rôle. Notre directrice de casting l’a repérée dans un restaurant. Elle n’avait jamais pensé jouer la comédie. Mais après un mois passé à répéter, à travailler sa voix, à improviser et à grimper à la corde, elle a prouvé qu’elle était une actrice intrépide, intelligente et talentueuse, capable de tout jouer. Elle n’a jamais cessé de m’étonner, de tout donner et de dépasser nos attentes. 

Le fait que le film traite de la guerre en Syrie et que nous soyons tous en exil a donné aux acteurs l’impression de former une vraie famille. C’était comme s’ils étaient à nouveau chez eux, en Syrie. 

VOS FILMS AZIZA (COURT MÉTRAGE, 2019) ET LE JOUR OÙ J’AI PERDU MON OMBRE (LONG MÉTRAGE, 2018) ONT ÉTÉ RÉCOMPENSÉS AUX FESTIVALS DE SUNDANCE ET VENISE. QU’AVEZ-VOUS RESSENTI, ET EST-CE QUE CELA VOUS A OUVERT DE NOUVELLES PORTES POUR RÉALISER NEZOUH ?  

Je me suis sentie très reconnaissante et fière d’être ainsi récompensée pour des films qui sont si différents en matière de genre, d’atmosphère et de narration. Cela m’a incontestablement ouvert des portes en tant que réalisatrice. Cette reconnaissance m’a aussi permis de m’entourer de l’équipe idéale pour faire Nezouh, et de collaborer notamment avec le BFI, Film4, Starlight, MK2 films et Mad Solutions 

QU’ESPÉREZ-VOUS QUE LES SPECTATEURS RETIRENT DE CE FILM? 

Nezouh raconte l’histoire d’une famille avant qu’elle ne quitte le pays et que ses membres deviennent des réfugiés, avec encore un long parcours devant eux. De l’autre côté de la Méditerranée, les populations déplacées sont simplement perçues comme des réfugiés. Les gens ne comprennent pas combien il a été difficile pour elles de partir. Personne n’a envie de tout quitter, d’abandonner sa patrie, ses souvenirs, son identité, pour devenir un étranger, avec le lot de stéréotypes que cela véhicule. On ne le fait que lorsque sa vie est menacée. C’est pourquoi j’ai décidé que le personnage du père refuserait catégoriquement de quitter sa maison, même quand la situation devient dangereuse, pour que les spectateurs réalisent que rester à tout prix est une folie. J’espère qu’ils comprendront alors pourquoi les gens sont parfois forcés de prendre le chemin de l’exil.

(Dossier de presse) 

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